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Historique
de l'Artillerie de Montagne
Les premiers artilleurs de montagne suivirent le fantassin dans
ses déplacements en tirant leurs canons avec des chevaux ou à la
bricole ; sous l’Empire, les « batteries de montagne » de la
guerre d’Espagne étaient équipées de canons de 3 ou de 4 et
d’obusiers de 12 coulés en Espagne sur des dessins adoptés par
le général Sénarmont.
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En
fait, le premier matériel réellement adapté au transport en montagne
fut en 1828 l’obusier de 12 du système Valée décomposable en deux
fardeaux de cent kilos portés par deux mulets : la bouche à feu sur
le premier, l’affût et les roues sur le second. Le boulet plein, en
raison de son inefficacité en montagne, avait été remplacé par un
obus, soit boulet creux, chargé de poudre noire, avec fusée en bois et
encartouché avec sa charge propulsive par l’intermédiaire d’un sabot
en bois, soit boîte à mitraille contenant des billes en fer forgé, soit
par la suite schrapnel qui livrait la mitraille « à domicile ».
Ce
matériel encore à âme lisse, d’une portée maximum de 1 000 à 1 200
mètres — 250 pour la boîte à mitraille —, rendit de grands services
pendant les campagnes d’Algérie du XIXe siècle, en particulier avec
des batteries du 2e RA de Grenoble, batteries à six pièces ayant surtout
un rôle administratif, les sections de deux pièces manoeuvrant avec la
brigade ou le régiment auquel elles étaient adaptées. Grâce à ce matériel,
les colonnes du maréchal Bugeaud eurent sans cesse l’appui d’une
artillerie capable de passer partout.
En
1958 apparurent les premiers matériels rayés de 4 et de 12 et, avec eux,
un canon de 4 rayé de montagne utilisé surtout outre-mer. Après la
guerre de 1870, la coopération infanterie-artillerie va trouver un nouvel
essor avec la création en 1888 des bataillons de Chasseurs à pied «
chargés plus spécialement d’opérer en montagne ». En effet,
sous l’impulsion du général Baron Berge, la loi du 22 décembre 1889
créa les « batteries alpines » destinées à être jumelées chacune
avec un bataillon de Chasseurs alpins, auquel elle apportait l’appui
tactique.
Ces
batteries furent équipées du canon de 80 mm de Bange dit « de montagne »,
matériel rayé décomposable en trois fardeaux d’environ cent kilos
chacun pouvant être portés, par l’intermédiaire d’un bât, par des
mulets, à savoir la pièce proprement dite — l’affût — la rallonge
de flèche avec les roues. La pièce complète pouvait être tractée à
l’aide d’une limonière de crosse par un mulet. Le canon avait une
portée de 4 100 mètres avec un obus cylindro-ogival chargé en poudre
noire.
Sous
l’autorité du général commandant le CA, les batteries alpines de la
14e Région furent rattachées pour l’administration au 2e RA de
Grenoble dont elles portaient l’écusson; elles en constituaient les
batteries numérotées de 12 à 19, mais elles avaient une vie autonome
avec un chef de corps.
Simultanément
furent créées les batteries alpines de la XVe Région rattachées pour
l’administration au 19e RA à Nîmes.
Avec
le renfort d’une compagnie de génie et d’une escouade de télégraphistes,
chaque batterie alpine formait avec son bataillon de Chasseurs un «
groupe alpin », axé pendant les manoeuvres d’été, bien sûr
en vue de sa défense, sur un secteur particulier des Alpes.
Il
existait alors douze bataillons de Chasseurs alpins ; en leur ajoutant un
bataillon du 97e RI, on obtint ainsi treize groupes alpins huit avaient
une batterie alpine à l’écusson du 2e RA et un détachement du 4e Génie,
cinq avaient une batterie alpine à l’écusson du 19e RA et un détachement
du 7e Génie.
Le
65 de montagne qui va progressivement remplacer le 80 de montagne
était un matériel à tir rapide à lancer avec affût articulée :
le tube en acier disposait d’un ressort télescopique qu’il fallait
comprimer à la main avant le départ du premier coup ce qui avait pour
effet de ramener le tube à cinquante centimètres en arrière de sa
position normale. Après chargement, le tube étant en arrière, le tir
s’effectuait en lachant le ressort, ce qui provoquait le « lancer » du
tube en avant ; la mise à feu avait lieu exactement à la fin du lancer;
l’énergie du recul contrebalançait la force d’inertie du lancer et
ramenait le tube en arrière, en position de tir du coup suivant. En cas
de long feu (retard dans la mise à feu), rare heureusement, la pièce
piquait du nez vers l’avant, l’obus risquant alors de percuter le sol,
donc d’exploser, à quelques mètres en avant de la pièce aussi les
artilleurs chevronnés mettaient-ils toujours sous le tube en position
de tir « avant » une caisse à munition vide pour limiter, en cas de
long feu, le basculement du tube.
Le
65 de montagne avait une portée maximum de 5 500 mètres
avec un projectile en acier de 4 kilos et sa vitesse de tir pouvait
atteindre 10 à 15 coups/minute, avec des angles de tir inférieurs à
45o• D’un poids en batterie de 400 kilos, la pièce se décomposait
en quatre fardeaux pour le transport à dos de mulets : la pièce, le
frein, la flèche, les roues. La traction sur route s’effectuait à
l’aide d’une limonière et d’une roulette sous la crosse. Utilisé
dans les campagnes coloniales, ce matériel fut même mis à dos de
dromadaires pour former des batteries sahariennes.
C’est
avec lui que s’effectua la réforme de l’artillerie de montagne de
1911.
Les
batteries alpines quittèrent leur régiment de rattachement devenu
divisionnaire, l’un à la 23e Division, l’autre à la 30e Division ;
celles de la 14e Région formèrent à Grenoble le 1er régiment de
montagne à huit batteries dont la 4e à Albertville, puis en 1913
les 2e et 8e au Maroc Occidental ; celles de la 15e Région devinrent le
2e régiment de montagne, à Nice, à six batteries de montagne et une de
campagne, la 7e. Les 6e et 7e batteries étaient stationnées
à Bastia.
Cette
nouvelle organisation ne changea pas les groupes alpins qui, à la
mobilisation de 1914 furent transportés vers le nord-est ; l’échelon
du régiment joua alors le rôle de dépôt chargé de mettre sur pied de
nouvelles batteries alpines ainsi que des sections mixtes de munitions
pour assurer le ravitaillement des batteries de montagne et de leur
bataillon de Chasseurs.
Engagées
dans les Vosges, en Lorraine, en Champagne, à Verdun, ... les
batteries alpines subirent de lourde pertes, mais y acquirent leurs
lettres de noblesse (1).
En
1915, des groupes de trois batteries furent formés et envoyés à l’Armée
d’Orient; le 10 juillet 1917, l’un des bateaux, l’Étoby, qui
transportait animaux, matériels et une centaine d’hommes fut coulé au
sud de Malte ; il disparut en quelques secondes et, seuls, un
sous-officier et six hommes de Troupe purent être recueillis par le
navire d’escorte.
La
fin de la guerre ramena toutes les unités dans leur garnison. Les régiments
de montagne se réorganisèrent pour donner naissance en 1923 au 93e régiment
d’artillerie de montagne à Grenoble et en 1924 au 94e RAM à Nice.
A
peine reformés, ces deux régiments furent remis à contribution en juin
1925 pour envoyer au Maroc, le 93e RAM, un état-major de groupe et une
batterie de 65 M, le 94e deux batteries de 65 M, pour participer
aux opérations du Rif. Les combats furent sévères, mais les artilleurs
de montagne se montrèrent dignes de leurs aînés (2).
Après
six mois de campagne, ces éléments rentrèrent du Maroc en décembre
1925 et les régiments purent préparer l’avenir en particulier en
s’instruisant sur le matériel de 75 de montagne Schneider appelé à
remplacer le 65 M.
Ce
75 M était un matériel à tir rapide, avec frein et récupérateur, du
type obusier, c’est-à-dire pouvant effectuer tir plongeant (angle de
tir inférieur à 4~o) ou tir vertical (angle de tir supérieur à 45o),
avantage très important en montagne. D’un poids de 650 kilos, la pièce
était décomposable en sept fardeaux tube - manchon - berceau - traîneau
- tête d’affût - rallonge de flèche - bouclier - essieu et roues. Les
munitions étaient du type explosif ou à balles, avec fusées
percutantes ou fusantes, et sept charges contenues dans une douille de
laiton. Le 105 de montagne Schneider servit seulement en cas de
mobilisation, était assez semblable au 75 M, mais l’augmentation du
calibre, donc du poids, ne semblait pas compensée par un net supplément
d’efficacité.
En
1934 le 2e régiment d’artillerie divisionnaire de Grenoble reprit sa
vocation montagne de jadis et devint le 2e RAM, régiment organique de la
28e Division, axé, en temps de paix, sur la Savoie ; le 93e RAM, affecté
à la 27e Division, était, lui, davantage axé sur le Dauphiné ; dans
les Alpes du Sud, le 94e RAM, à Nice, était le régiment de la 30e DI.
Tous ces régiments comprenaient, en temps de paix, deux groupes à deux
batteries de 75 M et un groupe à deux batteries de 155 Court
Schneider tracté.
Si, au fil des ans, les exploits de l’artillerie de montagne
devinrent en quelque sorte légendaires, elle en est redevable bien sûr
au courage de ses personnels, tous en général montagnards de naissance,
mais également à la vaillance de celui qui permettait souvent les
manoeuvres les plus osées, à savoir le mulet, plus familièrement appelé
« le brêle » depuis que des Marocains avaient servi dans les unités de
montagne.
(1)
Citation du maréchal des logis Merlin « Servant le 8juillet
1915 un canon de montagne, et celui-ci étant menacé par l’approche de
l’infanterie allemande, l’a fait emporter à bras, chargeant lui-même
sur ses épaules le châssis-frein d’un poids de 107 kilos, l’a fait
emporter à petits pas sous une grêle de balles dont quelques-unes
vinrent frapper la pièce de matériel qu’il portait ».
(2)
Citation du canonnier Pécheraud Amboise « Le 17 avril dans le
terrain particulièrement difficile du Beni Kejallila, son mulet ayant été
tué et ayant roulé dans un ravin, est allé seul sous le feu ennemi
chercher le tube de sa pièce pesant plus de 100 kilos et l’a ramené
sur ses épaules, permettant d’ouvrir un tir immédiat demandé par
l’infanterie durement accrochée ».
Le
mulet d’artillerie de montagne se distinguait par la sûreté de son
pied et aussi par la robustesse de ses membres et de son dos,
puis-qu’avec son bât et le matériel son chargement dépassait 150
kilos.
Le
bâtage du mulet était une opération délicate car il fallait d’abord
par le jeu de sangles bien placées et bien tendues assurer une parfaite
cohésion du bât avec le dos du mulet sous peine de blesser ce dernier,
ce qui aurait entraîné l’indisponibilité de l’animal. Le
chargement du matériel sur les bâts s’effectuait ensuite au fur et à
mesure de son démontage; chaque fardeau était soulevé et littéralement
projeté en l’air au moyen de leviers par trois ou quatre servants
avant d’être délicatement posé sur le bât et solidement arrimé.
Cela exigeait non seulement des servants grands et forts — le
recrutement n’envoyait que des recrues mesurant au minimum 1,70 mètre
— mais aussi une parfaite coordination de leurs mouvements pour ainsi
manipuler des fardeaux pesant presque tous plus de 100 kilos.
Le
déchargement de la pièce et son remontage s’effectuait selon les
principes inverses. Une telle opération pour le 75 M avec ses sept
fardeaux ne demandait guère que deux minutes entre le moment où la pièce
se présentait chargée sur les mulets et l’ouverture du feu. Dans les démonstrations,
après avoir remonté la pièce, le chef de pièce allait prendre le tube
(107 kilos pour le 75 M) et avec lui présentait « Arme » comme s’il
s’agissait d’un simple mousqueton; à sa suite chaque servant en
faisait autant. Ce petit exercice n’était que le symbole des efforts
que l’on pouvait demander aux artilleurs « alpins », dits par
la suite « de montagne », dans la tradition de leurs anciens.
En
montagne il n’est pas osé de dire que le mulet passait là où
l’homme avançait sur ses deux pieds. Marchant au bord des sentiers pour
éviter de se cogner aux paroies rocheuses, le mulet montait d’un pas
rapide, 400 mètres de dénivelée à l’heure au lieu de 300 mètres
pour un homme « moyen » ; s’il arrivait, rarement, que le terrain cédât
et si la pente n’était pas trop raide, le mulet se mettait littéralement
en boule, bât et matériel volaient en tous sens, et l’on retrouvait en
général l’animal en bas de la pente, debout sur ses jambes, en train
de brouter l’herbe.
En
hiver, sur terrain neigeux, chaque fardeau du 75 M était arrimé sur un
traîneau-luge dit «Gielly » du nom de l’adjudant chef qui l’avait
conçu. Muni de deux skis, le traîneau était tiré par un mulet, mais dès
que la neige devenait trop profonde, les servants prenaient le relais «
à la bricole ». A la descente le servant se mettait debout sur les deux
talons des skis du traîneau qu’il dirigeait grâce à deux freins
racleurs de neige qu’il actionnait au moyen de deux poignées.
Lors
de la guerre 1939-1940, 2e RAM et 94e RAM suivirent leur division envoyée
sur le
théâtre
d’opération du nord-est où, avec leurs mulets ils se trouvèrent peu
adaptés aux opérations de mai et juin 1940. Par contre lorsque la 27e
DI prit elle aussi la direction du nord-est, elle laissa sur la frontière
des Alpes, à la 64e Division, le 93e RAM mobilisé à trois groupes, deux
de 75 M et un de 105 M, son groupe lourd étant devenu le 293e RA.
Durant
l’hiver 1939-1940, marches et contre-marches promenèrent le 93e RAM du
Jura aux Basses-Alpes ; au printemps 1940, il perdit son groupe de 105
envoyé au Levant et récupéra un troisième groupe de 75 M, groupe de réserve
mis sur pied en février 1940 à Nîmes. Ce dernier fut en définitive le
seul à participer activement à l’arrêt de l’avance italienne en
Queyras alors qu’en Ubaye où le 1er groupe était en batterie à
2 000 mètres d’altitude, l’artillerie des forts, les sections
d’éclaireurs skieurs et le mauvais temps suffirent à bloquer
l’adversaire. De son côté le 2e groupe avait été retiré de la
frontière pour faire face à l’est et au sud de Grenoble à une éventuelle
avance allemande venant du nord. En fait celle-ci était arrêtée les 23
et 24 juin au nord de Grenoble dans la trouée de Voreppe, grâce en
particulier à l’action d’un détachement d’artillerie mixte 65 M - 75
M - 47 mis sur pied à la hâte par le COAMP de Grenoble avec en outre
quelques cadres venus du 93.
L’Armée
de l’armistice ne laissa subsister qu’un groupe de montagne de 75 M au
2e RAM reformé à partir des éléments intacts du 93e RAM. Malgré la
faiblesse des moyens, l’instruction montagne fut menée activement
avec uniquement des engagés et la première section d’éclaireurs
skieurs d’artillerie fut créée à Chamrousse, chargée, en opérations,
d’effectuer la liaison « artillerie » avec les éléments les plus
avancés des bataillons de Chasseurs. Le 8 novembre 1942 mit fin en métropole
à tous ces efforts mais nombreux furent les officiers, sous-officiers et
hommes de troupe qui s’illustrèrent dans la Résistance, ou se retrouvèrent
en Afrique sur laquelle en 1941 et 1942 avaient été dirigés de nombreux
personnels militaires.
En
1943 le 69e RA mis sur pied au Maroc, équipé initialement de 75 M
Schneider, puis en 1944 du 75 M américain, copie assez fidèle du précédent
avec des roues à pneumatiques, participa, soit sur mulets, soit sur
camions, à la campagne d’Italie avec la 4e Division marocaine de
montagne. Après son débarquement en France, il termina la campagne sur
la frontière des Alpes avec des éléments remis sur pied du 93e RAM.
Aujourd’hui
seul existe, stationné dans le sud de Grenoble, le 93e RAM équipé de
l’obusier de 105 HM 2 américain, régiment divisionnaire de la 27e
Division d’Infanterie alpine. Ce matériel tracté convient pour les
conditions d’emploi éventuelles de la Division, compte tenu du développement
considérable des voies de communication, de la rapidité des déplacements
et de l’aide accrue des moyens techniques de toutes sortes. L’école
de la montagne reste pour l’homme la meilleure des formations; quant aux
problèmes de tir, ils restent les mêmes qu’autrefois.
Mais
comme le rappelle une pensée de Marc Aurèle jadis célèbre au 93e RAM.
«
Quoi que tu fasses, la dispersion t’atteindra! ».
NB
C’est une décision
ministérielle qui avait recommandé vers 1936 la lecture dans les régiments
des pensées de Marc Aurèle!
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